Pour ses travaux sur les bulles de savon, Lorène Champougny, doctorante au laboratoire de Physique des solides, vient de recevoir une bourse L’Oréal-Unesco Pour les femmes et la science. Dans l’esprit de la « matière molle » chère à Pierre-Gilles de Gennes, ses recherches ont une foultitude d’applications, de la mousse à raser aux extincteurs en passant par les matelas. Et la jeune scientifique adore parler de son travail et des « mystères cachés du quotidien ». Futura-Sciences l’a rencontrée, suivez-nous parmi les bulles…
Le 19/12/2014 à 13:28 - Par
Lorène Champougny débute sa troisième et dernière année de thèse au LPS (Laboratoire de physique des solides) d’Orsay (université Paris-Sud), dans l’équipe Interfaces liquides. Son travail : comprendre pourquoi les bulles éclatent. © DR
Enfant, elle s’intéressait à toutes les sciences et dévorait les magazines scientifiques. Adolescente, elle se passionnait pour l’astronomie et se destina à des études d’astrophysique. « Mais arrivée au master, lors de mon stage, j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Le travail consistait à passer toute la journée devant un ordinateur et à étudier, de manière indirecte, des objets si lointains qu’ils en devenaient abstraits, explique aujourd’hui Lorène Champougny, devenue une spécialiste desbulles de savon. J’ai besoin de travailler sur du concret, sur des choses que je peux toucher. J’aime l’idée d’aller chercher des mystères cachés dans ce qui est autour de nous. »
Et puis, souligne-t-elle, « je veux pouvoir parler de mon travail à ma grand-mère ». Ce n’est pas une boutade : la jeune chercheuse passe un sixième de son temps à donner des conférences dans les lycées et à d’autres opérations, comme la Fête de la science ou les publications dans le siteVulgarisation.fr (ou La physique autrement). Nos lecteurs reconnaîtront d’ailleurs dans ces vidéos les images de l’exposition Supradesign, organisée par Julien Bobroff et travaillant au même LPS, le Laboratoire de Physique des Solides.
Une demi-bulle à la surface d’un liquide. Les irisations témoignent, par l’intensité de leurs couleurs, de l’épaisseur du film, que l’on peut mesurer par interférométrie. Ce paramètre influe sur la durée de vie. © DR
La théorie des bulles reste incomplète
« À l’origine, le laboratoire travaillait plutôt sur la matière dure condensée. C’est Pierre-Gilles de Gennes qui a introduit la matière molle. » Voilà comment on entame une thèse de trois années sur les mousses et les films de tensioactifs, leurs interfaces avec l’air ou autre chose, leur tension superficielle et leur durée de vie. « Une bulle naît, vit et meurt ! explique cette passionnée. Mon travail est de mieux comprendre comment se forme une bulle, de quoi dépend sa durée de vie et ce qui déclenche la rupture du film. »
Lorène Champougny partage son temps entre l’expérience et la théorie. « Il faut créer des simulations numériques pour reproduire les phénomènes. Lors de mon travail, par exemple, j’ai pu établir un lien entre une des propriétés d’un film, liée à son élasticité et déduite d’un modèle, et les résultats d’une expérience. Faire ce genre de pont entre théorie et observations est fondamental. »
La même demi-bulle en train d’éclater sous l’œil d’une caméra ultra-rapide. Les phénomènes qui déclenchent la rupture restent encore mal compris. © DR
Le confort du matelas dépend de la manière dont on coince la bulle
Quels genres d’applications peut-on imaginer aux résultats de ces recherches ? Lorène Champougny n’est pas en peine pour répondre. « Mes travaux sont de la recherche fondamentale mais ce domaine intéresse l'industrie. Comprendre ce qui provoque la rupture d’une bulle, c’est mieux maîtriser sa durée de vie, ce qui est d’une importance pratique là on utilise des mousses. Dans un shampoing ou un extincteur, on veut que les bulles durent longtemps. Dans une lessive, c’est l’inverse. Et pensez aux mousses solides : on les fabrique en partant d’un liquide contenant de nombreuses bulles. Si elles ont une faible durée de vie, beaucoup, au moment de la solidification, auront fusionné ou se seront interconnectées et il y aura donc de grands espaces vides dans la mousse solide. À l’inverse, si les bulles tiennent longtemps, il y aura de nombreux espaces petits et non connectés. S’il s’agit d’un matelas, dans le premier cas, il sera mou, dans le second, il sera dur… »
Lorène Champougny est devenue l’une des 20 jeunes femmes françaises (10 doctorantes et 10 post-doctorantes) à recevoir une bourse de la fondation L’Oréal-Unesco Pour les femmes et la science, le volet français du programme international L’Oréal-Unesco For Women in Science. Que va-t-elle faire avec le prix de sa récompense ? Deux choses : participer à un congrès international sur le sujet à San Francisco et y exposer ses travaux (ce qui a été fait en novembre dernier) et acheter une caméra ultra-rapide pour filmer l’éclatement des bulles. « Nous en avons une au labo mais j’en veux une petite et portable pour montrer ces expériences. » Pour susciter des vocations ? « Pourquoi pas… Mais je veux surtout stimuler la curiosité ! »