mardi 9 décembre 2014

Quelques picosecondes de supraconductivité à température ambiante


Les supraconducteurs à température ambiante rendraient possibles bien des machines capables de prouesses extraordinaires et permettraient aussi de conduire de l’électricité sur de longues distances sans pertes. Un nouvel espoir vient d’apparaître à ce sujet avec un cuprate soumis à des impulsions laser.

Un aimant flotte au-dessus d'un cuprate en phase supraconductrice baignant dans de l'azote liquide. © Wikimedia Commons, Mai-Linh DoanUn aimant flotte au-dessus d'un cuprate en phase supraconductrice baignant dans de l'azote liquide. © Wikimedia Commons, Mai-Linh Doan
Depuis que la supraconductivité a été découverte en 1911 par le prix Nobel de physique Heike Kamerlingh Onnes, elle a fait l’objet de nombreuses études. Plusieurs théoriciens de très grand talent s’y sont intéressés, comme Lev Landau et Vitaly Ginzburg en Russie, Pierre-Gilles de Gennes en France et bien sûr John Bardeen, Leon Cooper et John Robert Schrieffer. Ces trois chercheurs, en proposant en 1957 la théorie BCS, ont réussi à expliquer le phénomène découvert par Onnes (à savoir l’apparition d’une transition de phase en dessous d’une certaine température dite critique conduisant à l’annihilation de la résistance d’un matériau) en utilisant les lois de la mécanique quantique.
Malheureusement, la théorie BCS ne semble fonctionner que pour les supraconducteurs dits conventionnels. Il s’agit de matériaux supraconducteurs bien connus tels que le mercure, qui n’exhibent l’annihilation de la résistivité qu’à des températures inférieures à 10 K environ. Mais en 1985, une classe particulière de matériaux qui devenaient supraconducteurs à 35 K, des céramiques baptisées cuprates, fut découverte. Peu de temps après, on dépassait la température de liquéfaction de l’azote (77 K) avec des cuprates de formule YBa2Cu3O7.

Revivez la conférence de Julien Bobroff sur la supraconductivité, donnée dans le cadre du cours en ligne « QuidQuam ? Eurêka ! » © Unisciel, YouTube

Quelques picosecondes de supraconductivité avec un laser

Baptisés YBCO, ces supraconducteurs à haute température critique ont tout de suite fait l’objet de recherches intenses avec l’espoir de comprendre l’origine du mécanisme responsable d’un tel saut dans la température critique de transition de phase. L’espoir était, et est toujours, d’en tirer la clé pour produire de nouveaux matériaux qui, eux, seraient supraconducteurs à température ambiante. Notre technologie et même notre vie quotidienne en seraient bouleversées. On peut s’en faire une idée en regardant les vidéos de l’exposition SupraDesign qui a été consacrée aux applicationspossibles des supraconducteurs à température ambiante.
Les supraconducteurs ont tout de même connu de multiples applications technologiques ces dernières décennies. Ils ont permis la création du LHC et la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs. On les utilise pour créer des tokamaks comme celui d’Iter et même, désormais, pour conduire de l’électricité sans perte dans des villes. Mais le Graal de la supraconductivité à température ambiante restait inaccessible… jusqu’à une publication récente dans Nature, du travail d’une équipe internationale de physiciens. En 2013, ces chercheurs ont découvert qu’en soumettant un oxyde mixte de baryum de cuivre et d’yttrium à des impulsions laser dans le domaine de l’infrarouge, ils pouvaient obtenir pendant une infime fraction de seconde un état supraconducteur à température ambiante dans ce YBCO. En étudiant de plus près le phénomène à l'aide des rayons X disponibles à Stanford avec la fameuse Linac Coherent Light Source (LCLS), ils pensent être sur la piste conduisant à l’élucidation du mécanisme responsable de son apparition, qui ne dure pour le moment que quelques millionièmes de microseconde.

Paires de Cooper et effet tunnel, les clés de la supraconductivité

L’YBCO est constitué de minces doubles couches d’oxyde de cuivre qui alternent avec des couches épaisses qui contiennent aussi du baryum. La supraconductivité repose sur la formation de ce qu’on appelle des paires de Cooper, c’est-à-dire l’appariement d’électrons qui peuvent alors se comporter comme des particules d’un superfluide quantique s’écoulant sans résistance dans un solide. Dans le cas d’un YBCO, il se produit aussi un autre phénomène quantique important, l’effet tunnel, lequel permet aux paires de Cooper de passer à travers les couches épaisses d’oxyde de cuivre et de baryum. C’est ce phénomène, qui couple en quelque sorte les couches minces malgré les plus épaisses, qui permettrait d’atteindre la transition de phase à une haute température critique.
Selon les physiciens, les impulsions laser font changer temporairement la position des atomesdans la céramique de sorte que les doubles couches d’oxyde de cuivre deviennent plus épaisses de deux picomètres alors que les autres couches deviennent plus minces d’autant. Il en résulterait une augmentation du couplage entre les couches minces et donc une augmentation de la température critique de la transition de phase conduisant à l’état supraconducteur.
Il ne faudrait pas croire pour autant ni que l’on bénéficie enfin d’une bonne théorie de la supraconductivité pour les supraconducteurs exotiques à haute température critique ni que l’on dispose vraiment de supraconducteurs à température ambiante utilisables pour des applications technologiques dans l’industrie. Mais peut-être n’est-on plus très loin de toucher au but…


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